Migration et hospitalité, patrimoine de l'humanité

Migration et hospitalité, patrimoine de l'humanité

24-09-2018

Vendredi 14 septembre 2018, la seconde rencontre de l'hébergement solidaire à Marseille, a réuni près de 180 personnes au théâtre de l’Oeuvre.

Jean-Pierre Cavalié a introduit la soirée en faisant le lien avec les « journées du patrimoine » qui débutait le lendemain.

Nous sommes à la veille des deux journées du patrimoine ; il serait d'ailleurs plus juste de parler du matri-patrimoine, car nous devons au moins autant aux femmes qu'aux hommes.

Cette année, le thème choisi est le partage. Je vais développer le lien entre les deux en trois volets. Chacun d'entre eux nécessiteraient une conférence-débat, mais même rapidement, ils ouvrent des pistes de réflexion fertile. Car il est, pour nous, aussi important de savoir comment nous nous organisons que de comprendre pourquoi nous voulons le faire.

1° volet : La mobilité et la migration sont un matri-patrimoine de l'humanité

L'humain vient de très loin et en même temps est une histoire relativement récente.

Autour de 45 millions d'années (Ma), les primates (hominoïdes[1] et singes) se diversifient. Ils vivent dans les forêts qui couvrent une grande partie de la terre , et dont ils dépendent. Il y a 33 Ma se produit « la grande coupure » qui se manifeste par de grandes glaciations ; l'Antarctique se forme à ce moment-là. Beaucoup de forêts disparaissent et avec elles la plupart des primates. Seuls les hominidés[2] résistent, car ils marchent et ont une plus grande capacité de déplacement. Avec les cycles des glaciations et des réchauffements impliquant la montée et la baisse du niveau de la mer, cela va se poursuivre. L'Afrique sera l'un des lieux les plus épargné.

Bien plus tard, entre 2,5 et 1,5 Ma, se produit un réchauffement et les saisons apparaissent. On assiste, toujours en Afrique, à la bifurcation entre l'Australopithèque robuste et le premier homo (homo erectus) qui se nourrit de végétaux, mais aussi de viande, ce qui le rend plus indépendant du milieu et donc mobile, car on trouve de la viande en toute saison et partout. Se produit alors la première sortie d'Afrique avec les lions, les mammouths, les hyènes et les rhinocéros. Mais ces animaux sont bloqués aux confins de l'Inde par la « communauté des tigres ». Seuls l'humain s'adapte et continue le voyage ; il atteint l'Europe vers 1 Ma. Avec les glaciations de retour, il descend dans le sud et plusieurs lignées se séparent entre 1 Ma et 500.000 ans : le Sapiens en Afrique, le Néanderthal en Europe et le Denisovien en Asie.

Les premiers humains modernes apparaissent entre 190 et 160.000 ans en Afrique. Ils sont en Chine vers 110.000, au Proche-Orient vers 100.000, en Inde vers 70.000, en Australie vers 50.000, peut-être à la même époque en Amérique (ou 30.000), la dernière étape sera Madagascar en 2000 avant notre ére.

Jean-Paul Demoule fait ce commentaire : « L'exploitation de la peur, voire de la haine de l'autre, est une constante des populismes. La responsabilité des scientifiques est de rappeler que : les humains sont des « singes migrateurs » qui ont toujours migré, se sont toujours mélangé, que ces mouvements soient pacifiques ou violents, proches ou lointains, provoqués par la nécessité ou la curiosité. Les nations, les ethnies sont toujours des composés instables et en incessante recomposition et non des entités « éternelles » qu'il faudrait préserver des menaces extérieures. »

Je rajouterais que le véritable danger n'est pas extérieur, il vient de nous, de nos pratiques de vie, de nos égoïsmes, de nos aveuglements et de nos haines.

Sont-elles inéluctables, car liées à la « nature humaine » ?

2° volet : L'entraide, le partage et la bonté sont un matri-patrimoine de l'humanité

D'après Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, la première « loi de la jungle », la loi de la vie, c'est l'entraide, le partage, la bonté. C'est d'ailleurs ce que l'on veut signifier lorsque l'on parle de se comporter « avec humanité ».

«  Un examen attentif de l'éventail du vivant, écrivent-ils, révèle que, de tout temps, les humains, les animaux, les plantes, les micro-organismes ont pratiqué l'entraide. Ceux qui survivent le mieux aux conditions difficile ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s'entraident le plus. »

Cela ne veut pas dire que l'on puisse nier les violences et la méchanceté, mais Marylène Patou-Mathis, docteure en préhistoire, affirme que les premières traces de mort violentes dans l'histoire de l'humanité, sont religieuses. Les violences d'agression se manifestent essentiellement au néo-lithique (entre 8000 et 6000 avant notre ère), lorsque apparaissent des surplus de production avec l'émergence de l'agriculture et de l'élevage.

C'est le problème du partage qui est posé contre les tentations de l'accaparement et de l'enrichissement personnel de quelques-uns au dépend de tous les autres. Aujourd'hui encore, c'est ce problème que nous avons à résoudre. Marylène Patou-Mathis indique une piste lorsqu'elle affirme que les sociétés violentes sont pyramidales et privilégient les valeurs matérielles, alors que les sociétés pacifiques sont horizontales et privilégient les valeurs morales et spirituelles.

Nous pensons que l'hospitalité en rassemblent nombre d'entre elles comme l'égalité, le partage, la coopération, le respect...

Le 3° volet : l'hospitalité fait partie du matri-patrimoine national

Le principe du « sol libre » est une reprise de l'antique tradition des temples et des villes « sanctuaires » où les personnes en danger pouvaient se réfugier. En France, a tout d'abord existé à Toulouse au Moyen-Age. La ville offrait alors sa protection à ceux qui résidaient à l'intérieur de ses murs, même s'ils avaient un statut servile, interdisant qu'ils soient vendus à des étrangers.

Cela continua même lorsque la ville fut incorporée au domaine royal au 13°s. En 1445, à travers une décision du parlement de Paris, ce privilège municipal se généralisa au royaume de France. En 1576, Jean Bodin, théoricien politique, cite d'ailleurs « le sol libre » comme un principe fondamental de la nation française.

Ceci dit, le lobby colonial fera tout pour le saborder en faisant passer le « code noir » (1685), à la suite de quoi, en 1777, la « Police des Noirs » créa 8 « dépôts » dont un à Marseille, où « entreposer, retenir, les noirs et les mulâtres » pendant que leurs maîtres blancs résidaient dans la métropole et qui auraient dû devenir libres. Ces « dépôts » sont les ancêtres des centres de rétention que nous savons liés à l'esclavage moderne et qui se pratiquent, comme auparavant, avec le soutien des Etats.

En 1791, la Révolution établit pour la première fois le principe du « sol libre » en véritable loi,

mais il faudra attendre 1848 pour que l'esclavage soit aboli.

Des formes modernes d'esclavagisme perdurent encore aujourd'hui, et toutes les entraves à la liberté de circulation et d'établissement sont là pour les maintenir. Nous sommes là pour poursuivre la lutte pour son éradication totale et définitive, et le remplacer par le respect et l'hospitalité, en réaffirmant notamment que les migrations et leur corollaire, l'hospitalité, sont et resteront un matri-patrimoine de l'humanité.

Jean-Pierre Cavalié

 

Références : « Archéologie des migrations » sous la direction de Dominique Garcia et de Hervé Le Bras, c/o La Découverte 2017 ; « L'entraide, l'autre loi de la jungle » de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, c/o Les liens qui libèrent 2018 ; et « Préhistoire de la violence et de la guerre » de Marylène Patou-Mathis, c/o Odile Jacob 2013.


[1]Hominoïdes : Primate dépourvu de queue (superfamille des Hominoïdes, qui comprend les pongidés, les gibbons et les hominidés).

[2]La famille des hominidés comprend l'homme et certains grands singes africains comme le gorille et le chimpanzé.