Le réseau Hospitalité propose un outil de débats ouverts sur des thématiques importantes pour la pratique de l'hospitalité. En effet, L'objectif du réseau est de poser des actes concrets, mais aussi d'enraciner une culture de l'hospitalité qui représente une véritable alternative de société et de mode de vie. A l'image d'une maison, construire une alternative ne consiste pas seulement à agir, mais également à penser celle-ci sous divers aspects qui auront des conséquences pratiques. En l'occurrence, il n'y a pas de prêt-à-penser ; cette nouvelle façon de concevoir la vie commune est à bâtir ensemble par le débat.

Débattre sous-entend d'accepter que l'on ne soit pas tou.te.s d'accord ; de limiter les interventions à des apports constructifs et d'une longueur raisonnable ; et enfin de rester dans un langage compréhensible par tou.te.s et, bien entendu, non agressif.



Solidarité à l'égard du monde de la culture

Notre ami Pierre Prouvèze Musicien et cinéaste, engagé depuis toujours auprès des personnes exilées, nous envoie un mail à faire suivre sur cette liste collective, pour informer sur et soutenir l’occupation du théâtre du Merlan à Marseille. Au-delà, c’est le monde de la culture dont il est question.

A première vue, cela ne concerne pas les personnes exilées et n’entre donc pas dans le champ du réseau hospitalité.

Et pourtant, à bien y réfléchir, j’ai l’impression que c’est plutôt l’inverse ; pourquoi ?

La gestion de la Covid par le gouvernement s’est traduite par un état d’urgence sanitaire qui s’est rajouté à l’état d’urgence sécuritaire, faisant un cocktail politique qui a amené The Economist à classer notre pays parmi les « démocraties défaillantes », certains parlant même de « démocrature » . Ce registre politique est une source d’exil, nous ne pouvons rester muet.te.s.

D’autre part, se sont retrouvées fermées et interdites de fonctionnement, toutes les activités jugées « non-essentielles », c’est-à-dire, selon le gouvernement, celles qui ne concernent ni le travail, ni la consommation de base, et la santé bien entendu. Il y a des exceptions, mais qui ne font que confirmer cette règle. 

La vie sociale, la militance, la vie culturelle, la vie conviviale sont devenues « sans contact », paralysées, suspendues. Jusqu’à quand ? Quand cela ira mieux, c’est-à-dire… peut-être jamais si effectivement nous sommes entré.e.s dans une ère de pandémies à répétition. 

Tout cela est absurde, insensé, inacceptable ! Faut-il donc cesser de Vivre pour ne pas mourir ?

Allons-nous accepter encore longtemps de rester prisonnier.e.s de cet oxymore ?

Au début des années 2000, nous en avions déjà gobé un autre : Pour sauver la démocratie face au terrorisme, il faut suspendre un certain nombre de règles de base de la démocratie. On voit aujourd’hui où cela nous a mené.

Alors, je ressens que nous nous battons pour la même chose : ne pas être considéré.e.s comme des enfants irresponsables qui nécessitent d’être pris en charge, commandé.e.s, guidé.e.s, surveillé.e.s et éventuellement puni.e.s.

J’ajouterais que le monde de la culture est depuis fort longtemps solidaire de nos combats, il fait partie de nos combats pour la dignité de toutes et tous, alors pourquoi s’arrêter aujourd’hui ?

Qu’en pensez-vous ? Etes-vous d’accord pour leur faire connaître notre solidarité ?

Jean-Pierre Cavalié – le 14 mars 2021

15-03-2021

Une liberté subversive

L'enseignant Samuel Paty a été sauvagement assassiné par un jeune réfugié d'origine tchétchène, sous prétexte qu'il avait montré des caricatures de Mahomet dans un cours sur la liberté d'expression. Nous avons alors assisté à une effervescence de prises de positions, scindant apparemment notre société en deux camps opposés : les défenseur.se.s de l'inconditionnalité de cette liberté, au nom des « valeurs de la République française », et celles et ceux qui sont pour y mettre une limite.

Ce sujet est à ce point sensible que certaines associations n'osent plus aborder le sujet en interne, de peur de se diviser trop fortement. Après consultation, de nombreuses personnes liées au réseau Hospitalité, pensent que ça vaut la peine d'en débattre entre nous. Pourquoi ?

Parce que la « liberté d'expression » et la laïcité touchent au « vivre ensemble » et à l'hospitalité. Et puis, comment défendre le principe de la « liberté d'expression » si elle commence par faire taire et si nous ne sommes pas capables d'en parler posément et avec tolérance ?

 

Une liberté subversive

La question aujourd'hui, n'est pas de savoir si nous sommes pour ou contre la liberté d'expression, car tout le monde ou presque y est favorable. La question est de savoir laquelle ?

Je crois que la liberté d'expression n'est pas du domaine du défouloir (cf campagnes présidentielles aux USA), mais du service de la vérité, de la justice et de la paix. Elle est la liberté de dire ce que nous croyons juste et vrai, concernant la vie des personnes qui souffrent, sur les violations des droits fondamentaux, les malversations et les abus des pouvoirs, la cupidité meurtrière... Une liberté, toute liberté, n'est ni la possibilité, ni le droit de tout faire ; cela, c'est le rêve totalitaire qui affiche sa liberté totale et absolue pour supprimer celle des autres. Elle n'est donc plus la liberté, car celle-ci implique l'égalité, c'est-à-dire la liberté valable pour toutes et tous, ce qui implique une certaine « fraternité » ; on dirait plutôt, aujourd'hui, pour inclure la sororité, une certaine humanité.

La liberté d'expression est utilisée de plusieurs manières. Par exemple, certain.e.s l'utilisent pour attaquer les Musulmans, comme Robert Ménard, le maire d'Extrême Droite de Béziers. Mais, en 1989, les Frères Musulmans devenus l'Union des organisations islamiques de France, ont justifié la possibilité de porter le voile au lycée par la liberté d'expression inscrite dans la loi.

Côté contradictions ou hypocrisies, le gouvernement brandit la liberté d'expression garantie par la loi de 1881, pourtant il l'a amoindrie en juillet 2018 avec la loi sur le secret des affaites et sur les fake news.

Alors, il est utile de regarder de plus près ces lois qui ne sont pas aussi univoques et simplistes que l'affirment, notamment, certain.e.s politiques.

Depuis la Révolution française, le blasphème n'est plus un délit et c'est bien ainsi, sinon nous retournerions sous un régime de Chrétienté ou de Constantinisme (pour la France) qui sous-entendent que toute la population est obligée d'adopter la religion (ou l'idéologie) et sa dogmatique officielles. Depuis 1789 donc, ce ne sont plus les autorités, politiques ou religieuses, qui définissent ce que chacun.e doit penser et croire, car la liberté de conscience et d'opinion est devenue un droit qui est entré dans la constitution. Les choses sont inversées, le peuple devient sujet, non plus du roi, mais de sa propre vie ; il est pris et accepté tel qu'il est dans sa diversité ; c'est la base de la laïcité, du mot grec laos qui signifie peuple.

Dans la loi 1905 qui régit la laïcité : la foi, comme toute conviction personnelle, ne devient pas restreinte au domaine privé, comme l'on dit parfois, elle peut parfaitement s'exprimer collectivement dans le domaine public. Mais, c'est d'abord l'Etat qui, lui, passe au service du peuple, et devient le garant de cette liberté. Par conséquent, il est dorénavant neutre, et toutes les personnes qui le représentent, les élu.e.s et les fonctionnaires sont astreint.e.s aussi à la neutralité, mais uniquement dans l'exercice de leur fonction.

Ce que pose donc la laïcité, c'est la liberté de conscience et d'opinion comme principe fondamental, mais pas absolu comme nous allons le voir. C'est là que se pose la liberté d'expression.

Le blasphème est un droit, mais ça n'est pas si simple. Les juridictions françaises font la distinction entre « atteinte aux croyances » (blasphème) et « atteintes au croyants » (injure). Il serait donc, en l'occurrence, permis d’insulter l'Islam, mais pas les Musulmans. Cette distinction est en fait assez floue et très extérieure, car s'en prendre à Dieu, quel que soit le nom qu'on lui donne, est forcément perçu par beaucoup de croyant.e.s comme une attaque contre leur foi et donc eux/elles-mêmes.

Par ailleurs, si le blasphème n'est plus un délit, l'insulte au religieux peut relever de « l'incitation à la haine par des propos ou des écrits tenus en public », ce qui constitue une infraction pénale depuis la loi de 1972 (article 1er).

La loi du 26 janvier 1984, dans son article 57, garantit aux enseignant.e.s et aux chercheur.se.s « une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions ». Et pourtant, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et la liberté d'expression, dans son article 24, interdit la publication de « propos diffamatoire ou insultants ». Elle a été renforcée, depuis, par plusieurs lois. Et d'ailleurs, dans son article 11, elle met une nuance : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Il est intéressant, d'ailleurs, de relever que La Cour Européenne des Droits de l’Homme a statué, dans un avis du 25 octobre 2018 concernant la Belgique, mais ayant effet européen, que l’atteinte au Prophète Mohammed ne peut entrer dans le cadre de l'article 10 relatif à la liberté d’expression de la La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée en 1950 et entrée en vigueur en 1953.

Les lois relatives à cette question ont donc, me semble-t-il, posé clairement des limites. La liberté d'expression n'est pas un droit absolu, c'est-à-dire sans restriction. D'un point de vue de la philosophie politique, une liberté peut-elle exister réellement sans limites ? La liberté est-elle la possibilité de dire et faire tout ce que l'on veut ? Peut-on limiter la liberté ? L'écologie nous a rappelé que la vie est limitée par essence, ne serait-ce que par la mort ; elle ne peut s'épanouir que dans la limite. Notre civilisation est en train de le réaliser en voyant et subissant les conséquences funestes d'un mode de production et de vie qui n'a pas su, ni voulu poser de limites à la « croissance », à l'enrichissement de quelqu'uns, à la consommation...

Maintenant, la solution n'est pas dans le chacun chez soi, ni dans ces limites que l'on appelle frontières nationales, car si la vie est limite, elle est aussi mélange, rencontre, union,entraide. Et si nous voulons vivre ensemble dans l'harmonie, quelques règles sont nécessaires, notamment l'égalité de dignité et de droits, le respect, la réciprocité, le partage et la solidarité.

Ce « bien vivre ensemble » se pose aujourd'hui à l'heure de la mondialisation ; une mondialisation qui est grandement l'extension de notre civilisation occidentale. Le nationalisme a donc quelque chose d'anachronique. Or, en brandissant à la face du monde notre particularisme « laïque » (La France est le seul pays à avoir inscrit la laïcité dans sa constitution) comme étant l'avant-garde du progrès de La Civilisation, nous risquons de donner l'impression de relents colonialistes : nos valeurs seraient les meilleures et devraient s'imposer à tout le monde.

N'oublions pas, non plus, que chacune de nos sociétés et devenue mondialisée ; on ne peut donc vouloir passer un message sans penser qu'il s'adresse en fait à tout le monde, dans tous les sens des mots.

Et nous prenons également, dans cette affaire, le risque du mimétisme. Les caricatures ont l'objectif de critiquer l'islamisme, mais en caricaturant Mahomet, on cible en fait tous les Musulmans. On est, du coup, dans une punition collective (interdite par les textes internationaux et nationaux), à l'image des terroristes ; et/ou la démarche de généralisation propre au racisme (un Musulman est assassin, donc tous les Musulmans le sont).

Alors, que proposer comme positionnement ? D'une manière générale nous pouvons peut-être nous mettre d'accord sur le fait que cette liberté à laquelle nous tenons fermement, pour en rester une, doit se situer dans le strict cadre du respect d'autrui, même lorsque l'on est contre ses idées. La liberté d'expression ne doit pas répondre à une seule, mais bien à deux questions : Qu'est-ce que j'ai envie de dire de constructif ? Et comment l'autre, les autres, les destinataires du message, vont le recevoir et le comprendre ?

La liberté d'expression, n'est pas, pour moi, la liberté d'injurier, mais de dire que l'on n'est pas d'accord, surtout face aux pouvoirs en place, de manifester son désaccord, de proposer des alternatives, et surtout d'être pris au sérieux, écouté, pris en compte et impliqué.

Le 9 juillet 1850, devant l’Assemblée nationale, Victor Hugo déclarait : « La souveraineté du peuple, le suffrage universel, la liberté de la presse sont trois choses identiques ». C'est beau comme idéal, mais les personnes au pouvoir en ont fait l'inverse : la première est devenue la souveraineté sur le peuple, la banalisation des mensonges électoraux ont fait qu'aux dernières élections, 75% des électeurs potentiels (en comptant les non-inscrit.e.s) n'ont pas participé ou se sont abstenu ; quant à la presse, en devenant un marché aux mains des groupes les plus riches, elle est surtout un instrument de contrôle plus que de diffusion de l'information, et par là même de manipulation des conscience. Nous sommes en opposition avec la liberté de conscience qui est à la base de la liberté d'expression.

Bien sûr, l'islamisme djihadiste, qui est sûrement une trahison de l'Islam, est à combattre comme toutes les formes de fascisme et de totalitarisme, mais sans oublier le virage extrêmement dangereux que prend, depuis plusieurs années, notre régime politique français (entre autres) avec une avalanche de lois liberticides qui se sont traduit, notamment, par le fait que depuis 2005, nous avons passé la moitié de notre temps sous état d'urgence : une vraie caricature de démocratie... Pourquoi ne pas la prendre comme exemple pour illustrer la « liberté d'expression » ?

Jean-Pierre Cavalié – le 30 novembre 2020

 

08-12-2020